“Capacité, quand tu nous échappes”

21 Avr 2021

Depuis plusieurs années, de nombreux projets d’amélioration ou de transformation en tout genre et sur des tas de sujets ont été déployés dans les entreprises industrielles de toute taille.

J’ai pour ma part participé à plusieurs d’entre eux dans des secteurs comme la pharmacie, l’agroalimentaire, l’aéronautique, l’automobile, le service,… et force est de constater que les aspects capacité et « capabilité » sont souvent, parce qu’ils sont sous-estimés, des freins au bon déroulement de ces projets stratégiques.

Plusieurs phénomènes culturels sont venus cadencer ou programmer ces actions d’amélioration ou tout simplement de développement de l’activité. Se cachant sous des formes « d’assurance », les industriels ont vu fleurir des projets d’assurance Qualité, d’assurance sécurité, d’assurance productivité,… souvent régis par des normes ou agréments reconnus aujourd’hui comme référentiels par secteur, groupe voire même industrie

Menés dans les premiers temps de façon très cloisonnée, ces projets (ou « mise aux normes ») ont petit à petit, dans les organisations structurées, pris comme objectif commun l’ensemble de ces problématiques. Ne voulant pas concurrencer des actions ponctuelles ils ont, pour donner beaucoup de cohérences à ces discours d’amélioration, prôné la vision globale.

Déployer l’Assurance Capacité

Mes expériences personnelles en tant qu’industriel ou bien dans des sociétés de service m’ont démontré que dans bon nombre d’organisations, un aspect crucial est souvent omis, délaissé ou sous-estimé, pour être dans la finalité subi plutôt que managé.

Quand va-t-on voir naître dans les entreprises de tout secteur et de toute taille, un projet ayant pour objectif prioritaire l’Assurance Capacité ?
Mes réflexions sur le sujet, et mon expérience m’ont souvent démontré que travailler l’Assurance Capacité apporte une garantie supplémentaire à l’obtention des autres indicateurs et projets aujourd’hui visés et initiés.

Comment garantir à nos clients, une qualité irréprochable dès lors que l’on s’engage sur des projets ou travaux pour lesquels nous ne sommes pas capables ?
Comment garantir à nos actionnaires une réduction des coûts drastique, tout en visant un chiffre d’affaires croissant, grâce à des volumes que nous ne sommes pas capables de réaliser ?
Comment garantir à nos salariés, sécurité, conditions de travail, montée en compétences si l’activité industrielle du site ou de l’organisation se déroule en permanence dans l’urgence car la charge n’est pas en adéquation avec la capacité réelle démontrée souvent par manque de visibilité ou de prise en compte des réelles contraintes de la chaîne entière ?

Je ne suis pas en train de dire qu’il faille refuser ou renier ces projets d’amélioration de la qualité, de la productivité ou des performances de nos employés. Je suis tout simplement en train de constater que l’aspect capacitaire qui est la seule garantie de réussite se doit d’être étudié, évalué, pris en compte. Je suis également en train de prôner que des solutions existent et que c’est du rôle de l’organisation tout entière en commençant par le top management de les initier, de les mener, en un mot de les manager ou coacher.

La force par l’exemple…

Un exemple précis vécu montre et démontre comment ce sujet capacitaire est aujourd’hui tellement délaissé qu’il en devient même tabou, et ce sur toute la chaîne logistique semblant dédouaner tous les interlocuteurs de l’issue fatale à un tel traitement.

J’ai, dans mon expérience, réalisé une mission d’organisation et méthodes dans une entreprise d’un secteur agroalimentaire de renom. Pour des raisons de confidentialité je ne préciserai ni le secteur, ni la localisation et renommerai la société EXISTA.
A mon arrivée sur ce site, EXISTA souffrait d’un manque de performances et affichait une surcharge de travail qui, apparue sur le secteur production, s’était propagée sur l’ensemble des activités du site réception, préparation, production, stockage et livraison.
Cette société située à la fois sur une problématique de service et de transformation produit, venait de connaître un vrai changement culturel au travers d’un grand projet d’industrialisation et d’agrandissement.

L’avantage concurrentiel indéniable était clairement d’afficher à la fois cette prestation industrielle de transformation couplée à un tas de services que le secteur d’activité réclamait et recherchait.

Les objectifs et les attentes des clients étaient également très clairs et affichés. Ils souhaitaient :

N

Le service (prestation totale) dans un délai optimum

N

Une qualité irréprochable compte tenu du coût et de la renommée du produit

N

Un coût au plus juste permettant de répondre aux contrats tarifaires fixés mais aussi aux objectifs de résultats estimés sans prise en compte d’une analyse exhaustive des capacités et capabilités de l’entreprise et de son personnel.

Sans analyse approfondie et avec peu de vécu dans la société, il m’est clairement apparu que tous les projets ou sujets d’amélioration, de réalisation, d’acquisition se faisaient sans analyse capacitaire. Très rapidement ces sujets se voyaient remplacés ou décalés par des sujets de retraitement dus à ce manque d’analyse.

Également l’ensemble des acteurs souffraient de ces dysfonctionnements entrainant de la non qualité, du non-respect des délais, de la surcharge et des surcoûts de gestion.

Plus incroyable, la prise de décision sans analyse capacitaire était devenue une vraie culture de management; profitant à certains clients, tout en en pénalisant d’autres et en générant alors de l’insatisfaction.

Je me souviens même qu’un jour, un client s’est présenté avec un projet de réalisation comprenant des volumes de stockage et de production équivalents approximativement à 75% des volumes totaux déjà réalisés sur le site et que la décision de l’organisation a été de s’engouffrer dans cette opportunité sans analyse de capacité et par conséquent sans analyse de moyens à mettre en place ou d’organisation à adapter. Sous couvert de la confidentialité, les perspectives de ventes n’affichaient d’ailleurs à l’époque aucun chiffre concret ni valeur précise.
Bien entendu qu’une telle opportunité ne doit pas se laisser passer, mais la saisir sans analyse capacitaire et sans vision globale évaluant les risques et surtout les solutions à mettre en œuvre pour y parvenir n’est garant d’aucun résultat souhaité par chaque partie.

Prôner l’Assurance Capacité force et éduque l’organisation à se poser les bonnes questions, à mettre en œuvre les bonnes méthodes, pratiques et outils, et déclenche une programmation et une appréhension des processus de flux de production et d’informations pourvus d’une vraie vision globale. La gestion des risques, le management du projet et des hommes et la culture du service font par la suite le reste du travail pour arriver à destination à l’heure, tout en respectant les objectifs de qualité et de coût.

Dans le cas d’EXISTA, le challenge a été tenté et les résultats constatés :

r

Le client n’a jamais réalisé les quantités annoncées
(l’annonce était d’ailleurs identifiée comme approximative)

r

Par contre, la société EXISTA n’a jamais réussi à répondre favorablement aux quantités demandées et a amplifié son désordre ambiant et par conséquent sa capacité à faire et petit à petit sa capacité à convaincre

Suis-je Capable ?

Cette notion de capacité a plusieurs sources, plusieurs données et plusieurs voies d’étude. Il s’agit bien entendu de vérifier que l’organisation est capable, que ce soit sur l’aspect savoir-faire du métier dans des objectifs de coût, délai, qualité, mais aussi sur les aspects comportementaux (savoir-être) qui seront une garantie de réussite. L’axe culturel du site, des employés, des membres du projet ou de l’équipe reste une donnée primordiale de ce que l’organisation sera capable de réaliser.

Garantir la capacité, n’a pas d’issue obligatoire et irrévocable sur la garantie du résultat, mais promettre ce que ne sait pas ou ce que ne peut pas réaliser l’organisation en a une issue certaine.

Les phénomènes de société tels que le profit à tout prix, la concurrence permanente, le manque de solidarité, l’individualisme ont eu et ont toujours un effet négatif sur l’ensemble de la Supply Chain d’une entreprise. Ils forcent l’organisation à se désintéresser ou survoler l’aspect capacité, par manque de temps, par manque de données, par manque de visibilité, et j’en suis certain aujourd’hui par manque de culture. Combinée à la résistance au changement, la peur du lendemain, les problématiques de management, le protectionnisme,… ; la performance industrielle peut se sentir menacée.

Pessimisme ou Optimisme ?

Dans l’ensemble de mes expériences, j’ai travaillé sur des problématiques de capacité et j’ai en permanence dû lutter contre ces 2 mots. Souvent les employés qui évoquent prévisionnellement des problèmes de capacité sont catalogués comme pessimistes ou targués par les plus stratèges de manque d’optimisme. Mais pour visualiser un verre à moitié plein et le distinguer d’un verre à moitié vide, ne faut-il pas connaître la capacité de contenance du dit verre…. Affirmer par anticipation que l’organisation va manquer de quelque chose ne devrait jamais être pris négativement mais devrait forcer la mise en place de solutions correctives permettant de lever le « goulot ». Bien entendu, pour ne pas tomber dans le pessimisme, l’analyse de capacité, se doit d’être justifiée, la plus objective possible.

Et si cette analyse est objective ; pourquoi ne pas la prendre en compte ? Si ce n’est que les entreprises se retrouvent malheureusement trop souvent en interne avec un manque d’écoute ou un manque de vision globale dans les prises de décisions stratégiques.

Alors de grâce, se poser ces questions de capabilité, dénote souvent d’un fort pragmatisme et d’une volonté de réussite à toute épreuve….

Pourquoi cette capacité est aujourd’hui délaissée ou survolée ?

Dans une organisation industrielle, la réelle capacité dépend de nombreux paramètres. Elle est issue ou conséquente de nombreuses contraintes qui peuvent parfois être complémentaires mais également opposées, discriminantes, amplifiantes, anesthésiantes.

La théorie des contraintes nous démontre que la capacité d’une chaîne globale est toujours celle de son maillon le plus faible ; mais l’organisation industrielle étant constituée de facteurs machines, process et humains, il peut être parfois constaté que même si cette théorie est prise en compte, le maillon critique peut s’arrêter parce que les contraintes ponctuelles et non anticipées du maillon précédent ont causé un arrêt de flux.

 En synthèse, même si dans une organisation industrielle si petite soit-elle, la prise en compte de la capacité des maillons est en préalable réalisée, elle ne garantit pas le résultat final. Je vous laisse le soin d’imaginer la garantie du résultat si les contraintes de chacun des maillons ne sont pas identifiées, mesurées, prises en compte et quels seront les paramètres laissés pour compte ; service client, qualité, productivité, conditions de travail, sécurité,….

Des outils de gestion et de maîtrise de la capacité existent, mais s’agissant de contraintes parfois humaines, parfois techniques, parfois rationnelles, parfois irrationnelles, parfois prévisibles, parfois imprévisibles, les meilleurs outils d’anticipation et de maîtrise restent le bon sens et la proximité. Travailler à l’endroit où se situe la contrainte, je veux bien entendu insister sur l’aspect terrain, est primordial. Même si le poste ou le maillon n’est pas critique, le comprendre, l’analyser, le déchiffrer permettra forcément d’anticiper un risque potentiel sur la capacité totale. Il est bien évident que tous les process et tous les postes n’ont pas à être analysés de la même façon et avec la même attention mais sans culture de l’Assurance Capacité, les postes critiques ne sont pas ou peu étudiés, alors les non critiques …

Être au plus proche du terrain, des hommes, des organisations…

Comment prendre en compte la réelle capacité d’un poste productif ou même support, sans partager avec les utilisateurs eux-mêmes et sans les inciter à adopter cette culture. Il est à noter que dans cette phase d’analyse et de constat, s’intéresser et prendre en compte les potentiels risques amène inévitablement à en déceler certains inconnus et à en résoudre ou à en améliorer d’autres connus, ignorés ou oubliés.

Demeurant un sujet de management, celui des performances collectives, la solution de l’œil extérieur, pour peu qu’il soit pourvu de vision globale, de pragmatisme, de transparence est souvent garante d’un changement culturel et d’une prise en compte de cet objectif crucial et stratégique, qui est de bâtir des plans d’amélioration et de réalisation basés sur des données capacitaires estimées, validées et comprises de tous.

Rédacteur

Denis CLAVERIE, Consulting Manager Let it be. Supply Chain Expert